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lundi, 05 juin 2006

À Jeanne …

"Les français sont des gueulards." propos de notre premier ministre, rapportés par un journaliste de la radio nationale. Quand j'ai entendu cela, j'ai levé les yeux, j'ai vu ma chaise longue qui me tendait les bras. J'ai enfilé un maillot de bain, pris la crème solaire, "Cap Horn" de Francisco Coloane (conseillé par l'ami Pêcheur), les lunettes de soleil et je me suis accordée une sieste à l'ombre de l'arbre de Judée. À droite, les premières roses, à gauche des pavots orientalis de couleur orangée et les premiers hémerocalles jaunes, plus loin les poissons du bassin font eux aussi la sieste sous une feuille de nénuphar. En face, notre mur mitoyen Jeanne …

On veut me culpabiliser mais ça ne marche pas …
 
En 2003, je me suis occupée de ma voisine âgée de plus de 80 ans. Jeanne avait un cancer des os. En juin, elle a compris que c'était la dernière ligne droite. Je me rappelle du jour de ses 80 ans, elle attendait mon retour derrière la fenêtre, cette année-là ma classe était dure, je rentrais souvent épuisée. Elle vint me rejoindre : "Vous êtes tard ce soir, ils ont encore été pénibles ? C'est mon anniversaire, je croyais que je ne verrai jamais mes 80 ans, vous ne voulez pas venir boire un thé avec moi, je sais que vous ne buvez pas d'alcool, alors je ne vous propose pas l'apéro ! Et puis le thé aura fini son effet quand vous vous coucherez, je vois bien la fenêtre de votre bureau tard le soir." J'ai donc bu le thé avec Jeanne, comment lui résister ? Elle avait anticipé tous les arguments … Elle me rappelait mon grand-père mais en femme. Cette année-là, Jeanne et moi avons été très proches. En partant le matin, je vérifiais que les volets étaient ouverts, et le cas échéant j'appelais sa belle-sœur. Un mercredi de mai, tu m'avouas que tu avais dû faire demi-tour à la jardinerie parce que tu ne te sentais pas la force de revenir. “Je pensais ne rien mettre cette année, mais je crois que je pourrai encore profiter des légumes cet été et puis les enfants seront contents d’en avoir quand ils seront en vacances.” Je te conduisis donc au magasin et tu me conseillas les variétés de courgettes, tomates et haricots verts. Cette année encore je suis restée comme une idiote devant l’étalage, ne sachant que prendre. En retour, tu me demandas la marque des mes bouteilles d’eau pour l’arrosage, les trouvant mieux que les tiennes. Parfois, tu me demandais de te rapporter quelque chose du marché : de la viande, les premières fraises, etc. Plusieurs malaises t’avaient décidé à ne plus utiliser ta voiture. Un jour, n’ayant pu finir de tondre le bas du jardin, je te proposai de le faire. Quel souvenir ! 1000 m2 ! Et toi malgré ton âge et ta maladie, tu le faisais … Avec les garçons nous avons souvent ri de te voir courir derrière ta tondeuse ! Pendant la canicule, tu bus comme le conseillaient les médias. Ces litres d’eau eurent raison de tes reins. En septembre, tu fus hospitalisé à la Cavale. je m’occupais de ton courrier et allais te le porter tous les samedis, déposant les garçons chez Dialogues, une petite visite et retour. Les 120 kilomètres étaient compensés par ton accueil. J’admirais ta lucidité : “Vous allez avoir des nouveaux voisins.
— Pourquoi ?
— Parce que je vais bientôt partir. Vous croyez que suis dupe. Je sais bien que c’est une nouvelle étape. J’ai dit à mes enfants de vendre la maison. Au fait, n’oubliez pas de ramasser les courgettes et les poires.”
J’arrosais mais ne ramassais pas, j’avais le sentiment de te voler. Et puis, j’avais les évaluations de CE2 à corriger et à saisir dans l’ordinateur. Tu revins dans l’hôpital local. La réunion des évaluations passée, j’eus l’idée de te faire goûter tes pommes en compote. J’osais les voler, je te la préparais sans sucre et te l’apportais avec le courrier. C’était un mercredi, tu dormais. Je laissais le pot avec un petit mot. Le samedi, tes enfants m’apprirent ton décès et me remercièrent pour la compote. Personne n’avait osé y toucher et tu n’étais pas sortie du coma. Je m’en veux de n’avoir pas eu cette idée avant ! Le mardi, je ne suis pas allée à ton inhumation parce qu’il n’y avait pas de remplaçant disponible. Je savais que tu ne m’en voudrais pas et que tes enfants comprendraient. Le mercredi, j’ai déposé sur ta tombe une composition de sedums, je me suis offerte la même et je ne peux la regarder sans une pensée pour toi.

En 2003, nos impôts locaux augmentèrent de 25 %, je ne suis pas partie en vacances … J’ai pu m’occuper de toi.
 
Aujourd’hui, le seul que j’ai entendu “gueuler”, c’est …
Vous faisiez quoi vous, l’été 2003 ?
Mais peut-être n'avons-nous pas la même vision de la solidarité …

Commentaires

Beau texte plein d'émotion et colère justifiée, oh combien.
La solidarité ne se décrète pas. Nous vivons une drôle d'époque.

Écrit par : Rony | lundi, 05 juin 2006

Les larmes m'ont monté aux yeux en te lisant. Merci pour ce beau texte, merci pour ce beau témoignage de ce qu'est la vraie solidarité.

Écrit par : MarianneKipleur | lundi, 05 juin 2006

Texte émouvant. Merci à toi.

Écrit par : Anne-Ma | lundi, 05 juin 2006

Un beau témoignage de solidarité qui ne se résume pas à des monnaies trébuchantes... ce qu'on veut nous faire oublier.

Écrit par : nathalie | lundi, 05 juin 2006

Un texte beau comme ton coeur, Sar@h. Merci de l'avoir partagé avec nous.

Écrit par : joye | mardi, 06 juin 2006

Les commentaires sont fermés.